Le passage du Caire (1798-1799)
Place du Caire
L’entrée de la place du Caire
Le passage du Caire fut bâti à l’emplacement de l’ancien couvent des Filles-Dieu (religieuses hospitalières), qui occupait les terrains situés à l’ouest de l’actuelle rue Saint-Denis. Par décision du roi Charles VIII, le couvent des Filles-Dieu avait, à la fin du XVe siècle, été confié aux religieuses réformées de l’ordre de Fontevrault, qui firent bâtirent une nouvelle église. En 1669, le sculpteur François Anguier, frère cadet du fameux Michel, avait exécuté les figures de deux saints (Jean et Benoît) et de deux anges pour le décor de cette nouvelle église. Confisqué comme « bien national » en 1790, le couvent des Filles-Dieu fut vendu et finalement détruit.
La construction du passage du Caire, attribuée à l’architecte Philippe-Laurent Pétrel, pour le compte de la Caisse des Rentiers, fit l’objet d’une vaste opération de lotissement des terrains de l’ancien couvent des Filles-Dieu. Plus ancien passage couvert parisien encore existant, le passage du Caire ouvrit ses portes avant la fin de l’année 1798. Quelques temps plus tard, la rue du Caire reliait la rue d’Aboukir à la rue Saint-Denis et offrait de nouveaux accès au passage récemment inauguré.
La façade de la place du Caire
Par sa dénomination, le passage et la rue du Caire sont intimement liés à la campagne d’Egypte et à l’ « égyptomania » suscitée par l’expédition du Premier Consul, qui était entré au Caire au mois de juillet 1798.
La façade de la place du Caire est toutefois un peu plus tardive. En 1854, Alexandre Privat d’Anglemont l’attribue à un architecte dénommé « Berthier » et situe les travaux peu de temps avant 1830 (Paris Anecdote, Paris, 1854, pp. 186-187). La signature et la date du décor sculpté (« G. J. Garraud 1828 ») lui donne raison : son caractère orientaliste renvoie, plus prosaïquement, à la singulière appellation des lieux et peut-être à la présence d’un « café égyptien », qui s’était installé au rez-de-chaussée de l’immeuble, en 1805.
La grande frise couronnant le second étage
En dehors des colonnes à chapiteau lotiforme du rez-de-chaussée, cette façade reprend un répertoire décoratif essentiellement égyptien. Elle est divisée à mi-hauteur par une grande frise ornée de hiéroglyphes. Les fenêtres des niveaux supérieurs sont surmontées d’un arc saillant, trilobé ou simplement surbaissé. De petites colonnes à chapiteau en forme de fleur de lotus encadrent les fenêtres des derniers étages. Une large frise incurvée, semblable à celle couronnant le rez-de-chaussée et les fenêtres du premier étage, forme la corniche de l’immeuble.
attribué à Gabriel-Joseph Garraud (1807-1880)
Le décor sculpté de l’immeuble signalant l’entrée du passage du Caire, vers la place du Caire (1828 ?)
Les trumeaux des fenêtres du second étage présentent, en outre, trois têtes de la déesse Hathor, identifiable à ses oreilles de vache. Cette divinité des Festivités et de l’Amour offre un visage impassible et porte une abondante coiffure d’apparat. Chaque tête est couronnée d’un haut tailloir figurant un temple orné de figures, qui confirme une bonne connaissance de l’art égyptien.
Le « Bougenier » décorant la frise de la corniche
Pour le décor sculpté, l’architecte Berthier fit, selon toute vraisemblance, appel au jeune Gabriel-Joseph Garraud. Celui-ci mit son talent de sculpteur au service d’une cruelle plaisanterie. La frise de la corniche est en effet parcourue de hiéroglyphes, à l’exception d’une tête de profil, aux traits fortement exagérés, qui tranche avec l’esprit « égyptien » des figures voisines. Cette étonnante caricature évoque le peintre Henri Marcellin Auguste Bougenier (1799-1866), qui essuya, vers 1828, les moqueries de ses confrères en raison d’un nez proéminent. Alexandre Privat d’Anglemont relate cette histoire dans le chapitre qu’il consacre à la communauté d’artistes qui occupait la maison de la rue Childebert :
« … il y avait à la Childebert, au milieu de toute cette cohue, un artiste modeste, homme d’esprit et de raison (…). Il ne se passionnait pas chaque matin pour une nouvelle idole, il se contentait de travailler à sa guise et d’étudier consciencieusement son art. De temps en temps, il se permettait même quelques mots assez piquants à l’adresse des sires et seigneurs. C’était là un crime qu’on ne pouvait lui pardonner. Il fut mis au ban, on le honnit, on lui fit toutes les charges imaginables, et, comme la nature l’avait doué d’autant de nez que d’esprit, de talent et de bon sens, M. Fourreau s’avisa un jour de faire sa caricature. Elle eut un succès immense. Dantan jeune la reproduisit en terre avec cette verve ingénieuse dont il a depuis donné tant de preuves ; il la spiritualisa pour ainsi dire ; et, dès ce moment, M. Bouginier, tel était le nom de la victime, devint populaire. La charge en sculpture, qui avait été oubliée, reparaissait rajeunie, fraîche, accorte et pleine de grâce. Elle devait, entre les mains de son rénovateur, prendre un essor qu’elle n’avait jamais eu.
En moins de quinze jours, tous les murs de Paris eurent leur Bouginier ; les romantiques de la Childebert commencèrent cette scie par vengeance, les gamins de Paris la continuèrent par désœuvrement. Paris ne possédait pas un seul pan de muraille qui n’eût son Bouginier. Il fallait en doter la province. C’était au commencement de l’été. La plupart des artistes entreprenaient leurs pèlerinages. On promettait de se rejoindre, mais où ? mais comment ?
’Ma foi, dit un des premiers partants à ceux qui devaient partir plus tard, nous sortirons par la barrière d’Italie. Regardez les murailles le long de la route : vous y trouverez votre itinéraire. »
Relief de la grande frise couronnant le second étage
Ils partirent en effet, et, quinze jours après, une seconde caravane se mit en marche. Quel chemin prendre ? La première chose qu’ils aperçurent sur la muraille, à côté de la barrière, ce fut un superbe Bouginier avec un doigt indiquant la route de Fontainebleau. Ils suivirent ces indications, qu’ils trouvèrent tout le long de la route, et qui les conduisirent à Lyon, à Avignon et à Marseille. Arrivés là, ils avaient la mer devant eux. On avait sans doute tracé la charge indicatrice sur les eaux du port, mais le flot avait tout effacé. Comment faire ? Or, voici qu’en passant dans la Cannebière, un des voyageurs retrouve tout à coup le fil d’Ariane. M. Bouginier était là, frappant de ressemblance et le doigt appuyé complaisamment sur le mot « Malthe », écrit sur l’enseigne d’un bureau de départ. Il n’en fallait pas davantage. On prit passage sur le premier navire en partance pour l’ancien séjour des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem. On trouve là, sur les murs d ela Douane, le même signe conducteur et le doigt indiquant Alexandrie. On le retrouva en Egypte sur les pyramides. Enfin, après trois mois, les deux bandes se réunirent dans les ruines de Thèbes, au moment même où l’avant-garde était en train d’y tracer le nez et la main convenus et d’écrire : Suez.
Le dénouement de cette charge se voit encore à Paris, place du Caire, où M. Berthier, architecte, ayant été chargé de faire une façade au passage, bâtit une maison égyptienne de l’ordre d’architecture de Karnac, et perpétua cette plaisanterie en plaçant à la frise, au milieu de divinités égyptiennes, le plus beau et peut-être le seul Bouginier qui survive dans les rues de la capitale. Quant à la petite charge en plâtre de M. Dantan, elle se trouve dans toutes les collections d’amateurs. »
(Paris, 1854, pp. 184-187)
Le passage comprend trois galeries (Saint-Denis, Sainte-Foy et du Caire), qui se développent au nord de la rue du Caire. Elles forment un triangle, du côté de la rue d’Aboukir. A ce carrefour, la verrière se déploie en « toile d’araignée ». A chaque extrémité, un corridor surbaissé précède les galeries, dont l’élévation est à trois niveaux : un rez-de-chaussée moderne, aux devantures souvent criardes, un bel étage et un attique percé de petites fenêtres ou de demi-lunes. L’entrée de la rue Saint-Denis, plus soignée que les entrées latérales de la rue du Caire, s’insère dans un bâtiment post-haussmannien, bâti en 1890.
Dans les années 1840, le passage du Caire a été le refuge de nombreux imprimeurs-lithographes. C’est aujourd’hui le royaume des grossistes de prêt-à-porter !
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